vendredi 17 août 2012

Un plan « Robotique pour tous »

Après avoir écouté un podcast sur la robotique, j’ai proposé à David Medernach, l’animateur et Simon Carrignon, l’invité, de me donner leur avis sur mon texte Un plan « Robotique pour tous ».

Voici leurs réactions (reformaté et légèrement reformulé).

Un plan « Robotique pour tous »

Résumé : éduquer les jeunes à la robotique, pour réduire la peur et augmenter l’innovation.

En 1985, le gouvernement français, faisant preuve d’une clairvoyance rare, décidait de lancer un programme massif de sensibilisation des plus jeunes à l’informatique, le plan Informatique pour tous. Passons sur les choix erronés de privilégier une informatique française (Thomson et le crayon optique, alors qu’Apple avait proposé de s’installer en France plutôt qu’en Irlande et de proposer des Mac avec souris). Retenons juste une clairvoyance rare, la conscience que les citoyens qui vivront dans le monde de demain sont les enfants d’aujourd’hui et l’excellente idée de former les plus jeunes à l’informatique.

Un plan « Robotique pour tous » serait un véritable atout pour que la société de demain soit sensibilisée aux robots. N’oublions pas que ce qui est inconnu fait peur. En permettant aux plus jeunes de bidouiller leurs robots, les jeunes se les approprient. Une fois appropriés, il se passe deux choses.
  • La première, c’est que les robots font moins peur (surtout quand on les construit soi-même) ; comme on sait ce qui est possible, on est plus vigilant quand il le faut et plus confiant quand c’est justifié.
  • La seconde, c’est que l’on est plus créatif. Le temps qui n’est pas perdu à avoir peur ou à comprendre est utilisé à exploiter, à trouver des nouveaux usages.
En plus, aujourd’hui, on peut acheter des robots pour Noël, pour tous les âges et tous les prix.

Bref : pour se préparer à la robotique ubiquiste, j’en appelle le gouvernement à lancer un plan « Robotique pour tous ». En utilisant les forces vives de la société civile et des plates-formes open-source et open-hardware (comme Arduino), les prix peuvent substantiellement baisser. Et, surtout, c’est un investissement pour l’avenir. Pensez donc : des millions de roboticiens en herbe, c’est un avantage compétitif pour la France de 2022.

Réponse de David Medernach

Résumé : le contexte de 1985 est différent – l’informatique envahissait un grand public par préparé alors qu’aujourd’hui, la robotique soit est très simple, soit n’est nécessaire que pour des spécialistes.

L’idée peut être intéressante mais il y a tout de même au moins deux grandes différences avec la situation en 1985.

En 1985, l’informatique est déjà en train de se développer dans tous les milieux professionnels, il me semble. Ça reste aussi quelque chose d’assez compliqué nécessitant quasiment des connaissances en programmation  (1985, c’est la date de sortie du tout premier Windows).

Tandis qu’aujourd’hui la robotique grand publique (Roomba et Co.) ne nécessite pas vraiment (j’ai l’impression) de connaissances particulières, tandis que la création/programmation/modification de robot reste quelque chose destiné à un publique vraiment restreint (chercheur, hacker space, professionnel du domaine).

Après ça deviendra peut-être davantage nécessaire par la suite mais ça dépend de quand et comment le domaine se développera je pense.

Réponse de Simon Carrignon

Résumé : L’Académie des robots, une association pour l’éducation des jeunes à la robotique. Une thèse sur la question est en cours. Importance de l’accessibilité technique (open source) et monétaire (25 $ pour un Raspberry Pi). Les androïdes ne représentent qu’une faible partie de la robotique ; la robotique, c’est de « l’informatique étendue » et une armée de capteurs, le tout complètement intégré dans la vie quotidienne.

Ces questions me touchent beaucoup. À titre d’illustration, nous avons monté une association avec deux collègues, « L’Académie du robot », qui a pour objectif justement ça : que les enfants de tout âge puissent apprendre la robotique (voire la programmation) pour d’une part être à l’aise avec et d’autre part tester de nouvelles méthodes d’apprentissage.

Ma collègue Ilaria Gaudiello fait sa thèse sur ce sujet et utilise, entre autres, des Lego Mindstorm pour faire assimiler des concepts aux enfants (par exemple : chaud/froid, solide/liquide…) via la programmation.

Je suis profondément convaincu par ça : l’informatique et la robotique, qui sont indissociables, doivent être connues d’une part pour être démystifiées et d’autre part car elles offrent des possibilités, des outils de création géniaux et puissants à moindre coût. Donc, je ne peux que saluer et féliciter toute tentative d’aller dans ce sens.

Le monde du logiciel libre (Free Software Foundation, free as in speech, comme ils disent) propose beaucoup de réflexions importantes et fortes en ce sens. Et voilà aussi où je voulais apporter un peu de matière.

Je n’ai jamais trop aimé le monde (ou le mot ?) « robotique ». Les R2D2 & Cie, carré en métal made in URSS, qui parlent, sourient et finissent par conquérir le monde, c’est cool, ça fait rêver, peut-être qu’on y arrivera un jour, mais pour le moment ça reste dans les livres d’Asimov. Et des fois j’ai le sentiment que c’est un peu à ça qu’on veut sensibiliser les gens et je pense que ce n’est peut-être pas l’objectif à atteindre. Peut-être que je me trompe (et qu’au final ce n’est pas nécessaire de faire de distinction), en même temps ça me semble toujours important d’insister un peu.

Je pense que les changements important ne viennent pas de cette « robotique », mais plutôt de l’informatique et des technologies du numérique au sens un peu large. Les robots ne sont pas juste les robots avec deux jambes et une bouche, mais n’importe qu’elle puce programmable. C’est dès que l’informatique sort de son carré noir posé sur le bureau. Et là, c’est à la fois plus large, plus présent et plus dangereux (donc important à maitriser).

Un Raspberry Pi[1], c’est 35 $[2], et c’est juste génial :).

Quand je pense à sensibiliser des jeunes à la robotique, je pense à montrer comment faire pour déplacer les roues du Lego, mais l’idée aussi, c’est de montrer que ça pourrait marcher avec tous ces « trucs » à capteurs qui peuvent manipuler et échanger de l’information (capteurs, ça peut être un clavier, une caméra, une souris, un écran tactile, un thermomètre). Et que toute cette information ne transite pas dans un hyperespace mais qu’on peut vraiment la maitriser, l’utiliser, la comprendre.

Pour moi, la robotique d’aujourd’hui, que j’appellerai plutôt une espèce d’informatique « étendue » (en référence au phénotype étendu de Dawkins) c’est ça : le numérique qui se mélange et devient la vie privée à travers des smartphones connectés en permanence au réseau, des clouds, des Rasbperry Pi un peu partout dans la maison qui enregistrent et partagent. C’est l’information qui vient de dizaines de sources, des petits moteurs pour baisser les stores, des enceintes pour diffuser les derniers tweets à ne pas manquer et la musique qui correspond parfaitement à la température extérieure tout en ajustant l’arrivée d’électricité avec la mise en route du système de nettoyage (une centaine de mini-Roomba). C’est régler d’un clic le repas de la veille et dans le même temps enregistrer le taux de je-ne-sais quelle molécule absorbée dans son livret médical numérique personnel sur le cloud, en signant numériquement le carnet de correspondance de la petite après vérification des notes.

C’est la robotique qui suit le mouvement de l’informatique de bureau et qui sort des morceaux de métal jaune de C3PO pour devenir une espèce d’organisme multicellulaire distribué un peu partout, multi-agents, totalement interconnecté sans pour autant que cette interconnexion soit nécessaire.

Je pense qu’on est plus proche de ça, et qu’on va continuer à aller dans ce sens pour encore quelques temps, plutôt que d’avoir des ASIMO qui nous apportent à manger (bon la peut-être je me trompe et qu’au final ASIMO sera meilleur et prêt avant mes systèmes multi-agents ; j’avoue pour le coup ne pas être objectif et ultra biaisé par mes intérêts personnels :)).

En tout cas là pour moi, dans cette optique, c’est clair qu’il faut, comme dit monsieur Stallman, que « tu sois maître de TON informatique et non l’inverse », et ça passe par une sensibilisation des gens (et d’ailleurs, je pense même c’est mieux, plus simple de maitriser et d’apprendre plein de petites technologies qui interagissent entre elles pour donner des trucs complexes, UNIX-like power, plutôt que des usines à gaz obscures et statiques comme un mauvais Windows Vista et un ASIMO Honda). Et que n’importe qui puisse voir, plus ou moins rapidement que « tiens, c’est bizarre, j’ai l’impression que sur le cluster de Raspberry Pi que j’utilise pour diffuser l’info à la maison y’a un processus bizarre qui s’exécute, et ça depuis que les pubs Wallmart ont doublées. Faudrait que j’appelle un technicien… »

Et que ce ne soit pas juste un truc qui nous entoure, qui nous surveille/nous protège/nous aide/est bien utile mais qu’on ne comprend pas.

Pour terminer, voici un bon article sur les enjeux dans l’éducation : Vincent Peillon – les enjeux éducatifs du libre et des standards ouverts.



[1] Pour la différence entre Raspberry Pi et Arduino : raspberrypi.org/archives/1171
[2] 25 $ en fait (NdlR)

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